Depuis bientôt 40 ans qu'il y a posé ses valises, Mar-a-Lago, le manoir de Donald Trump en Floride, est un lieu de scandale, de légende et de pèlerinage pour les partisans de l'ancien président. Sans oublier un cauchemar pour les résidents de la ville de Palm Beach. Reportage.
«C'est bien notre veine, on va voir Mar-a-Lago le seul jour de l'année où il n'y a pas de soleil», marmonne notre co-pilote, sourcils froncés, bras croisés et fesses calées au fond du siège passager. Il n'a pas tort. Ce lundi, le «Shining State» porte mal son nom. Au-dessus de l'autoroute, le ciel noircit. Promesse de trombes de pluie tiédasse alors que la température frise les 33 degrés.
Une heure sépare Miami de Palm Beach, ce bijou de sable clinquant d'à peine 20 kilomètres de long pour 3 kilomètres de large. Un concentré de fortunes parmi les plus importants du monde. Pour vous donner une idée, Palm Beach, c'est 9245 habitants à l'année, 25 000 habitants durant la «saison hivernale» de novembre à avril, dont 10 200 millionnaires, 69 «centi-millionnaires» et neuf milliardaires, selon un récent recensement du Palm Beach Post. Parmi lesquels Donald Trump.
Cette île de milliardaires vit «une guerre des classes»
Une «île-barrière» qui porte bien son nom. Deux ponts séparent Palm Beach du continent et de West Palm Beach, la ville réservée aux domestiques et au personnel des clubs privés, autrefois décrite comme «décrépite» avant de connaître un embourgeoisement hors norme. Un pont principal, à l'ouest, et une mince route, au sud, où se situe le royaume de Donald Trump. Mar-a-Lago. Son «château» et sa «zone de confort». Un endroit où il peut être entouré de «personnes partageant les mêmes idées», comme le glissait en mai dernier un initié au Washington Post.
Alors que la silhouette légendaire se dresse à l'horizon, on s'attend à une nuée de drapeaux tricolores, pancartes pro-Trump et casquettes rouges MAGA. Mar-a-Lago, par la force de l'actualité et des évènements politiques, est devenu un sanctuaire. La Mecque des trumpistes. Un lieu de passage obligé pour ses partisans, comme pour les journalistes du monde entier en soif de quelques sorties lunaires.
Ce lundi, pourtant, rien. Nada. Aucune meute de fans agglutinés sur le parking à proximité du domaine. A l'exception de deux pêcheurs, la route vers Palm Beach située à la pointe sud de l'île est déserte. Calme plat. Frappant.
A défaut d'une tête de Trump cartonnée sur une pique en bois ou d'une équipe de casquettes pourpres braillardes, le légendaire drapeau américain du propriétaire flotte au loin comme un avertissement. Une légende depuis qu'il a été érigé en octobre 2006 sur la pelouse du club de golf, sans autorisation ni permis, au grand dam des autorités. Pas moins de 4,5 mètres sur 7 mètres.
Dans une ville où chaque centimètre compte, où la surface des drapeaux est limitée à 2,2 m2 et où les souffleurs de feuilles ne doivent pas émettre à plus de 65 décibels près des habitations, vous imaginez le choc. L'occasion d'un énième combat et de menaces de procès entre le pétulant Donald Trump et la ville. Il y en aura beaucoup d'autres.
Impossible de s'approcher de trop près du manoir doré de style néo-méditerranéen de 118 pièces - dont 58 chambres, 33 salles de bains et 12 cheminées. Nous nous contentons de longer les haies, les yeux rivés sur la tour caractéristique de 23 mètres de haut, visible à des kilomètres à la ronde. Le club est estampillé comme «restricted area».
Postés à chaque entrée comme des chiens de garde, des agents du Secret Service jaugent en silence nos quatre allers-retours. Histoire d'éviter les ennuis, nous renonçons à un cinquième passage pour poursuivre notre route jusqu'au cœur de Palm Beach.
Là, quelques miles à travers le centre-ville tristement désert suffisent à comprendre la relation amour-haine que noue cette communauté coquette avec son plus célèbre résident. Depuis près de 40 ans qu'il a jeté son dévolu sur sa résidence de Palm Beach, Donald Trump sème la zizanie sur cette île avec la même délectation et le sens du spectacle que sur la scène politique nationale.
Mar-a-Lago, la faiblesse de Donald Trump
C'est peu dire que le style tapageur et ostentatoire de l'ancien président tranche avec l’élégance discrète, propre et de bon goût en vigueur dans ce refuge pour vieilles fortunes. Une ville qui interdisait autrefois aux hommes de faire du jogging torse nu (trop vulgaire) et qui parfumait ses eaux d’égout avec des essences de lilas et de chèvrefeuille.
Jour férié obligé, pas un chat sur les trottoirs immaculés. Pas un habitant à interroger devant une boutique de luxe ou la vitrine d'une galerie d'art. Personne non plus attablé à la terrasse de «La Goulue», le très chic bistrot français ouvert pendant la pandémie par un New-Yorkais exilé en Floride. Pas âme qui vive ni témoin des vagues de Donald Trump dans cette forteresse insulaire réservée aux millionnaires.
En parlant de restaurant, n'imaginez pas croiser l'ancien président dans l'un des nombreux établissements de la ville pour y déguster son steak-frites préféré. On le voit rarement dehors. «Il mange à Mar-a-Lago», précisait un local à Vanity Fair l'an dernier. Dans sa salle à manger dorée, où les pains à burgers sont ornés de son effigie et où le menu propose une «wedge salade du président».
Pas un fidèle MAGA non plus ce jour-là. Ce qui n'empêche pas les habitants du coin d'avoir été confrontés à quelques déboires au cours des dernières années. Comme ces croix gammées projetées sur les façades de plusieurs bâtiments publics, en janvier 2023. Ou ces paquets de dépliants antisémites jetés dans les allées et les pelouses du comté, en mars puis en septembre 2023.
Alors, quand un trumpiste se prend à errer devant les maisons blanches de Palm Beach, drapeau américain en étendard et t-shirt avec la tronche de son idole, on préfère faire comme s'il n'existait pas. A l'instar de ce nuage orange, qui plane sur cette ville paisible depuis près de 40 ans.
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