CHU TEH-CHUN OU LE JEU DU CLAIR-OBSCUR à VENISE

«In Nebula», la rétrospective consacrée au peintre franco-chinois en marge de la 60e édition de la Biennale, est un plongeon introspectif grisant.

Antéchronologique. C’est ainsi que le commissaire de la plus grande rétrospective consacrée à Chu Teh-Chun ces dernières années, Matthieu Poirier, décrit la visite privée à laquelle nous sommes conviés. Mais pas que. Il faut d’abord s’imaginer une Venise qui bat à l’heure de l’inauguration de la 60e édition de la Biennale d’art contemporain. Des Giardini bondés, des queues incommensurables devant les pavillons les plus plébiscités. Nos pupilles surexposées peinent à s’habituer à la semi-pénombre qui règne dans ce qui fut autrefois la piscine de la Fondazione Giorgio Cini. Sentiment étrange. Dérangeant? Rassurant? Insolite, certainement, mais après un bref temps d’acclimatation tant oculaire qu’auditif, ô combien contemplatif et apaisant.

Le parcours, composé d’une cinquantaine d’oeuvres, dont des prêts d’exception, est déployé sur trois niveaux. Imaginé par Matthieu Poirier et Yvon Chu, le fils de l’artiste, ainsi que son épouse, Anne-Valérie Sceau, tous deux architectes à la tête la Fondation Chu Teh-Chun basée à Genève, celui-ci invite à l’introspection. Et à plus d’un égard. «Nous l’avons voulu antéchronologique afin d’appréhender le cheminement de l’artiste dans un constant dialogue avec lui. Lorsque vous avez terminé la visite, vous devez revenir sur vos pas et aborder cette fois le même parcours chronologiquement», commente le curateur.

De l’ombre à la lumière

Pour comprendre l’exposition qui se lit comme une forme d’écriture, revenons un instant sur l’histoire de l’artiste né en 1920 dans la province de Jiangsu en Chine. Il n’a que 15 ans lorsqu’il commence ses études à l’Académie des beaux-arts de Hangzhou, tout en continuant à s’adonner à la calligraphie et à la poésie. La guerre sino-japonaise le force à l’exil et à de longues traversées de contrées à pied. Puis il enseigne à Taïwan avant d’embarquer sur un bateau pour la France en 1955. C’est en Europe que Chu se révèle. Il abandonne définitivement la figuration pour contempler l’abstraction. Il s’enivre de visites au musée et découvre Genève, pour laquelle il a un vrai coup de cœur. «Notre artiste se forme à l’Avant-Garde: Nicolas de Staël, Hans Hartung, Jackson Pollock. Son abstraction flirte avec le réalisme et est empreinte d’une intranquillité insoupçonnée. Un bouillonnement vivant dans lequel le microcosme apparaît.» On comprend mieux le titre de l’exposition: «In Nebula», comme celui de la monographie signée par Matthieu Poirier chez Gallimard. Bien que Chu Teh-Chun ait disparu en 2014, il figure parmi les dix artistes les mieux vendus au monde. Or, son nom est souvent méconnu du milieu institutionnel et des collectionneurs. Pourquoi?

Un malström, une anomalie

Il s’agit pour le curateur d’une anomalie, certainement liée au fait que Chu ne voulait pas être représenté par une galerie exclusivement. «Il était en quelque sorte en dehors du marché et cultivait la discrétion.» Une nébuleuse là aussi, qui brouille encore les pistes et qui laisse la part belle à un vortex. La visite se poursuit et l’on perçoit à quel point la scénographie, notamment ces cimaises flottantes, offre un champ de visibilité complet au visiteur. Un seul regard suffit pour embrasser une vision. Dans une vitrine, on découvre quelques objets ayant appartenu à l’artiste. Comme l’encrier de son père avec lequel il a appris la calligraphie ou des dessins miniatures de ses tableaux faisant office d’archives. «Aucun croquis préparatoire, car il n’en faisait pas, mais beaucoup de livres. Chu était presque boulimique de lecture.» Le tour guidé se clôt avec l’une de ses seules toiles de jeunesse avant de rembobiner le tout et de filer au dîner donné dans les appartements privés de la Fondazione Cini.

Inscrivez-vous à la newsletter et recevez chaque jour, un condensé des grands titres qui font l'actualité.

2024-04-25T06:30:05Z dg43tfdfdgfd