EN 1913, LA VILLE DE GENèVE FAIT UN HéRITAGE INATTENDU

Un notable de l’Ain, Victor Baudin, lègue ses biens à la Cité de Calvin.

Il fallait la curiosité d’un Dominique Erster pour remettre en lumière les illustres Baudin de Nantua. Après une carrière bancaire commencée à Genève, ce passionné d’histoire locale a mis son temps libre à profit pour des recherches que nul n’attendait. Elles lui ont fait croiser l’histoire d’un héritage qui, un an avant la Première Guerre mondiale, jeta un froid dans les relations entre la France et la Suisse. Une largesse bien oubliée à Genève, reçue d’un ancien maire de Bellegarde, neveu du grand Alphonse Baudin qui repose au Panthéon à Paris.

«Ayant grandi à Nantua, confie Dominique Erster, j’étais depuis longtemps intrigué par tous ces Baudin. Leur nom est mentionné dans plusieurs endroits de cette ville. Deux rues le portent, il y a aussi des monuments qui rappellent l’existence de membres de la famille. D’où mes recherches qui ont abouti au livre «Alphonse Baudin, Pierre et les autres…», paru en 2020.  S’y retrouver parmi tous ces notables n’a pas été facile. Mon intérêt pour le passé du Haut-Bugey et de la Savoie et mon goût pour la généalogie ont guidé mon travail. J’ai découvert que cette famille avait commencé par un curé. L’ancêtre des Baudin est devenu prêtre en 1730, après la mort de sa femme. Leur descendant Alphonse était plutôt anticlérical», remarque l’historiographe.

Mourir pour 25 francs

Alphonse Baudin, c’est le héros de la famille. Né en 1811 à Nantua, ce fils d’officier de marine devient médecin et se trouve à Paris lors de la chute du roi Charles X en 1830, puis celle du roi Louis-Philippe en 1848. Républicain convaincu, il accueille avec enthousiasme la IIe République. Il est élu député de l’Ain à l’Assemblée nationale en 1849, mais, le 2 décembre 1851, le président Louis-Napoléon Bonaparte rétablit l’Empire à la faveur d’un coup d’État. Le lendemain, sur une barricade dressée rue du Faubourg-Saint-Antoine, l’élu républicain est frappé à mort par une balle tirée par la troupe. Il aurait dit cette phrase «Vous allez voir comment on meurt pour 25 francs!» Tel était le montant de l’indemnité journalière des députés.

Le courage et la fin tragique d’Alphonse Baudin lui valent d’être brillamment célébré après le retour de la République. Il est exhumé et placé en 1871 dans un tombeau magnifique au cimetière de Montmartre. Son gisant en bronze d’un réalisme saisissant, par Aimé Millet et Léon Dupré, laisse voir le trou que la balle a fait dans son front. À Paris comme à Nantua, des statues en pied de Baudin sont érigées, et le 4 août 1889, ses restes sont déplacés une nouvelle fois. Ils prennent place au Panthéon, dans le cadre des cérémonies du centenaire de la Révolution de 1789.

«Vous allez voir comment on meurt pour 25 francs!»

Et l’héritage genevois? Nous y venons. Il n’aurait pas existé sans la présence à Genève de Georges Baudin, né à Nantua en 1808, le frère aîné d’Alphonse le héros. Ce notaire est comme son frère un républicain de gauche en rébellion avouée contre l’aile droite de la IIe République. Contraint à quitter la France en 1849 déjà, il reçoit en Suisse un accueil bienveillant dont son fils Victor se souviendra à l’heure de rédiger son testament.

Victor est né à Nantua en 1841. Dominique Erster le qualifie d’urbaniste, étant ingénieur et architecte sorti de l’École centrale des arts et manufactures à Paris. Après avoir vécu à Montmartre avec son frère cadet Félix, qui a fait les mêmes études que lui mais qui s’adonne à la peinture, Victor Baudin est revenu dans le Bugey, où son père Georges a acheté le petit château de Musinens, sur la commune de Bellegarde. Il est élu à deux reprises maire de cette ville, avant d’avoir le chagrin de perdre Félix, qui a mis fin à ses jours en 1909 à Musinens.

Célibataire, connu pour être un «original» – sans qu’on sache vraiment ce que cela recouvre – Victor Baudin rédige en 1912 son testament en faveur de la Ville de Genève, en mémoire du bon accueil reçu par son père en 1849. «Il semble qu’il conserva de sa non-réélection une certaine rancune contre ses anciens électeurs et la reporta sur la Commune de Bellegarde», explique Dominique Erster. Baudin s’éteint au château de Musinens en 1913, âgé de 73 ans. C’est alors que le Conseil administratif genevois, présidé par le notaire Albert Gampert, est averti que l’ancien maire de Bellegarde a fait de la Ville sa légataire et qu’il a demandé à être inhumé à Genève.

Lors de son départ de la capitale du Haut-Bugey, seulement cinq personnes suivent le cercueil, parmi lesquelles Albert Gampert, président du Conseil administratif, et son secrétaire général Edouard Chapuisat. Ce sont les pompes funèbres municipales genevoises qui se chargent d’emporter la dépouille de Victor Baudin en train, ayant pris soin de fleurir le convoi par leurs propres soins. Lire «Alphonse Baudin, Pierre et les autres…

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