JACQUELINE DE QUATTRO EXIGE UN PARQUET FéDéRAL ANTITERRORISTE: «EN SUISSE, ON A LONGTEMPS CRU QUE LE TERRORISME N'ARRIVAIT QU'AUX AUTRES»

Des mineurs radicalisés arrêtés, l'attaque de Zurich récupérée par l'État islamique... La menace terroriste plane sur la Suisse. La conseillère nationale PLR Jacqueline de Quattro veut un parquet fédéral antiterroriste, pour centraliser la lutte. Interview.

L'État islamique (EI) a récupéré l'attaque au couteau perpétrée par un jeune de 15 ans contre un juif orthodoxe, le 2 mars à Zurich. L'occasion pour la RTS de rappeler que la Suisse est inscrite sur la liste des ennemis du groupe terroriste. Un document qu'il cite dans diverses communications, notamment sur Telegram.

La lutte antiterroriste compose, en Suisse, un mille-feuille d'acteurs rendant la surveillance et la prévention compliquées. Cinquante-cinq (!) institutions sont compétentes, toutes avec leurs règles. La conseillère nationale libérale-radicale (PLR) Jacqueline de Quattro veut un parquet antiterroriste fédéral. Trop souvent, estime la Vaudoise, on réalise trop tard que l'auteur d'une attaque était connu des services de tel ou tel canton. Comment fonctionnerait cette instance? Interview.

Jacqueline de Quattro, l'idée d'un parquet fédéral ne nie-t-elle pas le particularisme helvétique?Le fédéralisme a ses limites face à une menace d’une telle envergure. 26 polices cantonales, 26 ministères publics, une police fédérale (fedpol), un Ministère public de la Confédération et un Service du renseignement, ça fait un mille-feuille qui complique beaucoup la lutte contre la menace terroriste!

À l'heure actuelle, qu'est-ce qui bloque?

Toutes les polices bossent comme des fous. Mais il est très difficile de prévoir où les attaques vont se produire. Pour faire de la prévention et empêcher les passages à l'acte, il faut réunir nos forces et augmenter les effectifs. On a besoin d'inspecteurs qui puissent aller le terrain, sur les plateformes de jeux.

De jeux en ligne?

Oui, comme Roblox. C'est un jeu populaire et très cool, qui a été détourné, comme d'autres. Les jeunes récemment arrêtés en Suisse pour avoir préparé une attaque aux explosifs ont été radicalisés sur cette plateforme. On y crée des mondes, on y combat des ennemis. Récupéré par les mauvaises personnes, on s’y retrouve confrontés à la propagande de l'EI, à des incitations à la violence, à des discours de haine, à des vidéos de décapitations... Cela parle hélas à certains jeunes en rupture.

Il faudrait centraliser les enquêtes faites notamment sur ces jeux dans un fichier central?Il faut commencer par protéger nos enfants contre ces dangers! Et donner un cadre légal pour que la police puisse faire son travail de prévention sans être accusée constamment de violer la protection de la personne, la liberté d'expression. Le risque est réel: la Suisse est sur la liste des pays hostiles à l'EI, selon ce groupe terroriste. Ça pousse à l'acte!

Mais il faudra bien centraliser des données, des recherches, des informations?Il faut réunir nos forces, mieux coopérer! Trop souvent, après un passage à l'acte, on entend: «Ah, mais on le connaissait!» Et on ne s'est pas donné les informations, de peur d’enfreindre une liberté. Le parquet antiterroriste permettrait de fédérer, de faire concourir les forces et les compétences.

Sentez-vous, parmi vos collègues parlementaires, une réticence encore liée au scandale des fiches?Oui, il y a toujours des élus qui semblent marqués par ça, même à la Commission de sécurité. Chez eux, ce «traumatisme» est apparemment indélébile. L'Union européenne vient de déposer une plainte contre TikTok, voyant que la plateforme ne surveillait en rien les contenus diffusés via elle. Chez nous, c'est l'éternel débat entre liberté et sécurité. Mais le terrorisme aussi est contraire à la liberté des personnes! La Confédération n’a toujours pas réussi à nous soumettre un texte.

Vous avez une idée pour le rédiger?

On pourrait s'inspirer du Digital Services Act (DSA). En Europe, ce texte réglemente les plateformes numériques. Cela me semble indispensable. Le but ce n'est pas de «fliquer» les citoyens, mais de rappeler que ce qui est interdit dans la vraie vie l’est aussi dans le monde virtuel.

Où en est concrètement votre idée?Je vais déposer une motion le mois prochain, lors de la prochaine session. J'avais déjà interpellé le Conseil fédéral en novembre 2021. À l'époque, on m'a dit que les cantons pouvaient s'adresser à fedpol. «Circulez, y'a rien à voir...» Mais cette fois, le Procureur général de la Confédération et plusieurs commandants de polices cantonales font la même demande, relevant qu'il n’est pas possible d'avoir autant d'intervenants.

Avez-vous des alliés?

Je l’espère! Il y a trois ans, quand j'en ai parlé pour la première fois au Parlement, le sujet mettait les gens mal à l'aise. Il ne fallait pas trop en parler. Les mentalités ont évolué, on ne croit plus que ça n'arrive qu'aux autres. Mais cela reste un sujet sensible.

Vous avez été chargée de la Sécurité au Conseil d'État vaudois. Les polices arrivent-elles à travailler ensemble?Elles ont l’habitude de travailler ensemble. Mais personne n’aime lâcher un bout de compétences. Certains collaborent de manière exemplaire avec la Confédération, par exemple le Tessin, lors de l'attaque terroriste à Lugano, en novembre 2020.

Et ailleurs, ça se passe moins bien?Il y a des différences. Si vous prenez une petite police comme à Glaris ou celle de Genève, vous ne pouvez pas comparer. D'où l'idée d'un parquet fédéral qui pourrait structurer tout cela et enquêter en collaboration avec les cantons. Notamment sur les réseaux des complices. On parle de «loups solitaires» mais ces individus sont toujours en connexion avec des gens qui pensent comme eux.

2024-04-23T15:36:00Z dg43tfdfdgfd