LE FESTIVAL ARCHIPEL RéINVENTE LA CORNEMUSE ET SES COUSINS

Flanqué de bombardes et d’un biniou, l’instrument à anche embrasse l’avant-garde samedi soir avec les quatuors des Sonneurs et Béla.

Dans le domaine de la création contemporaine, il y a une sorte de bienfaiteurs de la musique qui mériterait louanges et lauriers. C’est un cercle restreint qui a donné à ses instruments un éclat nouveau, une visibilité inattendue, en passant des commandes aux compositeurs d’aujourd’hui, en quittant parfois les chemins de la tradition pour aller voir ce qui se trame ailleurs.

On dira cela de Xavier de Maistre, par exemple, harpiste explorateur tenace. D’Emmanuel Pahud aussi, flûtiste presque anonyme en orchestre et tout à fait flamboyant en soliste. Ou encore de Martin Fröst, clarinettiste voltigeur dont on peut mesurer la virtuosité tout au long de cette saison passée en résidence au sein de l’Orchestre de la Suisse romande. Et puis il y a le cas Erwan Keravec, un sonneur – noble étiquette collée aux joueurs de cornemuse écossaise – qui réinvente son instrument depuis une dizaine d’années déjà.

Émulsion intrigante

L’étendue de son opération, qui place autrement l’instrument à anche dans le règne musical, est à (re)découvrir samedi au fief du Festival Archipel, à la salle communale de Plainpalais. Le Breton y fera escale avec une bande de complices, tous sonneurs, fonction qui donne d’ailleurs son nom à son quatuor. On y entendra, aux côtés de la cornemuse, ses quelques cousins de la tradition bretonne, les bagads, orchestres typiques de la région: le biniou et la bombarde, avant tout, mais aussi la trélombarde ou bombarde basse, jeune instrument né il y a une décennie à peine et qui contrecarre avec les notes graves les pétaradants acolytes sur scène.

L’exotisme de ce panel d’objets suffirait en soi à motiver le déplacement du mélomane curieux. Mais il y a davantage encore pour attiser l’envie: les Sonneurs se joignent au Quatuor Béla – formation conventionnelle avec ses archets et ses cordes – pour donner vie à une émulsion sonore des plus intrigantes. Le surprenant octuor présentera, en création mondiale, «Strathpeyed», de la Japonaise Noriko Baba; il se frottera aussi à «Antienne pour les jours de fièvre», pièce de Frédéric Aurier, premier violon du Quatuor Béla. Des pièces placées au cœur d’une affiche où campent aussi des ouvrages de Giocinto Scelsi, de Samuel Sighicelli et d’Igor Stravinsky.

On le devine sans peine, le mariage entre les textures rondes et soyeuses des archets avec les timbres plus âpres et puissants des Sonneurs pose quelques questions de taille. Comment atteindre une harmonie dans cette superposition instrumentale quelque peu improbable? Comment éviter que les uns ne phagocytent les autres? «Dans les faits, on s’est vite rendu compte que les mouvements d’archets peuvent générer des longueurs de notes qui épousent parfaitement le bourdon de la cornemuse et du biniou, explique Erwan Keravec. Pour tout le reste, c’est une question de profondeur du son, de maîtrise de sa projection, ce qui nous pousse à jouer avec la spatialisation de la musique. Se confronter à ce défi est d’autant plus stimulant que nous connaissons déjà les membres du Quatuor Béla, depuis que nous avons partagé un concert en 2018 au Grand Théâtre de Lorient.»

Ignorance stimulante

Avec l’expérience genevoise, Erwan Keravec élargit un peu plus le domaine de son instrument, dans un mouvement qui a éloigné progressivement le musicien de la tradition bretonne, de l’image et des clichés qu’on lui rattache. En dix ans, il a été à l’origine de trente-cinq créations, en passant des commandes à des compositeurs qui, dans la plupart des cas, ne connaissaient que très peu et mal le potentiel de la cornemuse. «Cette ignorance a toujours été un atout majeur parce qu’elle me pose face au regard vierge sur mon instrument. Il m’arrive parfois d’en expliquer le fonctionnement, de devoir montrer l’étendue de ses possibilités. Et en retour, il m’arrive aussi d’être poussé vers des retranchements, avec des partitions et des mises en situation que je n’ai pas l’habitude de côtoyer.»

Dix ans après ses premiers pas dans les musiques d’aujourd’hui, Erwan Keravec s’est peut-être défait du rôle de pionnier. D’autres interprètes, des sonneurs comme la jeune Brìghde Chaimbeul – elle aussi à l’affiche, le premier jour du festival – accompagnent le mouvement d’émancipation de la cornemuse. «Les expériences de ces dernières années m’ont énormément appris, conclut le Breton. Surtout dans la manière d’organiser et de concevoir la musique, qui n’a plus rien à voir avec ce que je faisais à mes débuts.»

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