«LE TABLEAU VOLé», TOILE DE MAîTRE

La redécouverte d’un Egon Schiele disparu va agiter tout un petit monde, de collectionneurs fortunés à pauvres provinciaux, au cœur d’une intrigue qui va partout et nulle part à la fois. Gros coup de cœur.

«Il n’est jamais trop tard pour rien.» La phrase a valeur de sentence, presque de proverbe. C’est le personnage incarné par Léa Drucker qui la prononce, aux deux tiers environ du «Tableau volé». Suggérant qu’il est toujours temps, dans la vie, de concrétiser une affaire, adresser une déclaration d’amour, toucher le gros lot ou faire une rencontre déterminante.

Ce genre de phrases, Eric Rohmer adorait les mettre en exergue de certains de ses films. «On ne saurait penser à rien», prévenait-il avant «La femme de l’aviateur». Pascal Bonitzer, sans prétention de filiation, procède de manière analogue dans son film. L’argument? La redécouverte d’un tableau d’Egon Schiele qu’on croyait disparu depuis la fin de la guerre et qui en réalité dormait chez des particuliers qui ne se doutaient pas qu’ils possédaient un trésor.

Le propos? Décrire de l’intérieur et non sans cynisme le monde feutré des experts en musées et galeries d’art, collectionneurs et autres habitués des salles de vente aux enchères. Le style? Plutôt glacé, avec ses cadrages rigoureux et ses intérieurs aseptisés, histoire de coller avec la réalité d’un monde parallèle.

L’enjeu? Montrer comment la découverte d’un tableau caché peut infléchir le comportement de toutes sortes de personnes. Ou disséquer les mécanismes d’un milieu avec cette part d’intrigues et de secrets qui gangrènent la surface des apparences. Ou encore opposer l’univers impitoyable des affaires à la simplicité de provinciaux qui ne savent même pas qui est Egon Schiele. Et là, on hésite. En effet, les enjeux du film sont multiples. Vers quoi tend «Le tableau volé»? La réponse n’est pas simple. Ni unique.

Même interrogation sur son héros. De qui s’agit-il? D’André Masson (Alex Lutz), le commissaire-priseur qui s’apprête à réaliser la vente de sa vie? De Bertina (Léa Drucker), qui l’aide et tire les ficelles dans l’ombre? De Martin (Arcadi Radeff, comédien genevois primé récemment pour la série «Les indociles»), ce jeune provincial qui ne réalise qu’à l’extrême fin du film ce qui lui arrive? Tout cela est très ouvert. Et même si on penche, au vu de la conclusion, pour la troisième hypothèse, les autres possibilités sont tout aussi valables.

Multiples pistes de lecture

Et c’est bien là ce qui est passionnant à suivre. Malgré les apparences et les dehors de la prévisibilité, on ne sait jamais vers quoi le film va bifurquer, ni même comment. De multiples pistes digressives – la liaison de Bertina avec une consœur, la relation tendue entre Masson et sa nouvelle assistante, comme le conflit larvé que celle-ci entretient avec son père joué par Alain Chamfort, les comportements menaçants des jeunes potes, limite cailleras, de Martin – viennent se greffer ou suggérer d’autres pistes de lecture, certaines exploitées d’autres pas. Les sous-textes s’inféodent à la ligne rouge ou colonne vertébrale du récit, l’infléchissent, l’orientent, et parfois nous désorientent.

Le film agit comme une suite d’ondes corpusculaires traversant les différentes strates sociales évoquées dans ce long métrage. Personne n’y détient une vérité ultime, celle-ci se niche partout et donc nulle part. Le corollaire, c’est que «Le tableau volé» capte quelque chose d’intangible de nous-mêmes, de nos espoirs, de nos existences et attaches. Il serpente dans tous les recoins d’un réel qui ne se laisse jamais enfermer.

Le tout avec une solidité d’écriture assez rare, un sens de la séquence exemplaire (voyez la scène finale, qui suit juste l’anthologique moment de la vente aux enchères du Schiele), et des comédiens parfaitement au diapason. Avec en guise de bonus – prenons-le ainsi – la réapparition dans un petit rôle de l’attachant jeune comédien de «L’atelier» du regretté Laurent Cantet, Matthieu Lucci. L’un des gros coups de cœur de la saison.

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