LES "VIEUX-GRENADIERS" FONT BONNE GARDE DEPUIS 1749

La société des grognards genevois a été fondée il y a 275 ans. Quelle est son histoire?

Le 23 juin 1917, les Vieux-Grenadiers sont réunis pour un banquet qui lance leur traditionnelle fête d’été. La Première Guerre mondiale sévit depuis trois ans. Parmi les convives, il y a Gustave Ador, dont la candidature au Conseil fédéral est approuvée par toute l’assistance.

Dans un article paru le lendemain, l’envoyé de la «Tribune de Genève» glisse que sa rédaction a reçu pour la première fois une invitation pour ce banquet. Il cite le discours du conseiller d’État radical William Rosier: «M. Rosier aborde ensuite un terrain plus brûlant. La Suisse doit être neutre, dit-il, mais son cœur peut parler. Nos sympathies vont à ceux qui défendent leurs territoires envahis et qui combattent pour le droit, la justice et la liberté. L’orateur salue aussi l’intervention des États-Unis qui sont venus à leur tour se ranger du côté du bon droit.»

Ces lignes d’une troublante actualité ancrent la vie des Vieux-Grenadiers dans la grande histoire dont ils sont les témoins depuis 1749. Tout récemment, cette vénérable société a fêté publiquement ses 275 ans d’existence avec un défilé spectaculaire composé de plusieurs groupes à cheval venus de toute la Suisse et de Croatie. Les Genevois qui ont vu passer les chevaliers croates de Sinjska Alka ne sont pas près de l’oublier. Ce tournoi de chevalerie a été inscrit en 2010 au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco.

Patrimoine de l’humanité?

Un tel honneur guette peut-être les Vieux-Grenadiers, car leur société est très ancienne et son rôle dans la vie genevoise est non négligeable. Les grenadiers ne sont pas vieux parce qu’ils existent depuis 1686, date de la création de ce corps d’élite au sein de la milice bourgeoise genevoise. Ce qualificatif rappelle que les membres du Cercle des Grenadiers créé en 1749 ne voulurent pas être confondus, dans les années 1821 à 1823, avec une éphémère société regroupant exclusivement des jeunes grenadiers. Ils prirent alors le nom de Vieux-Grenadiers.

Les fondateurs en 1749 étaient  au nombre de quatorze. C’étaient des citoyens membres de l’armée de milice, spécialisés dans le maniement de la grenade. Ils s’entendaient si bien qu’ils décidèrent de se réunir régulièrement pour jouer, selon la saison, aux cartes ou aux boules, dans leur local de Plainpalais. Vieux, ils le devinrent vraiment, continuant pendant trente ans à se retrouver régulièrement, sans admettre un seul nouveau membre.

«Au milieu du XIXe siècle, on pourrait croire que la société va mourir de sa belle mort.»

En cette seconde moitié du XVIIIe siècle, nos grenadiers forment l’un des très nombreux cercles existant à Genève à cette époque. Ceux-ci subsistèrent pendant le siècle suivant. En 1866, on cite encore le Cercle littéraire, le Cercle de la Terrasse, le Nouveau Cercle, le Cercle national, le Cercle des Artistes, le Cercle des Anonymes et, bien sûr, le Cercle des Vieux-Grenadiers.

Ces derniers n’ont pas apprécié, dit-on, l’annexion de Genève à la France en 1798, mais la tenue typiquement française qu’ils adoptent à ce moment-là restera désormais la leur.

Le milieu du XIXe siècle marque un moment charnière de l’histoire du cercle. On pourrait croire que la société va mourir de sa belle mort. En 1850, il ne reste que sept membres, puis trois. La dissolution paraît proche. Et puis non. Des sympathisants deviennent alors membres effectifs et les Vieux-Grenadiers relèvent la tête. En 1868, on les cite dans un rectificatif du «Journal de Genève» spécifiant que «dans notre compte rendu de la fête de la Société des Anonymes, qui a célébré son 100e anniversaire, nous avions dit «que ce cercle est maintenant le plus ancien de notre canton». On nous fait observer à ce sujet que la Société des Vieux-Grenadiers existe depuis 1749, et qu’elle a fêté son jubilé en 1849, ce qui donne en faveur de ce cercle 19 années de plus d’existence qu’à la Société des Anonymes.»

En 1896, à la faveur de l’Exposition nationale à Genève, les Vieux-Grenadiers acquirent une visibilité bien meilleure. Depuis ce temps, les membres de la société portant costume sont de toutes les fêtes historiques, sauf celle de l’Escalade, pour ne pas risquer l’anachronisme. Ils brisent néanmoins une marmite au local. Les anniversaires du 31 décembre 1813 et du 1ᵉʳ juin 1814, du 1ᵉʳ août 1291 et  du 11 novembre 1918 les voient marcher en bon ordre. Une rue du quartier de Plainpalais porte leur nom, car c’est là qu’ils avaient leur première propriété, avant de s’en séparer pour acquérir en 1930 leur maison actuelle, au 92, rue de Carouge. De 37 membres en 1851, l’effectif des Vieux-Grenadiers est passé à 247 en 1890 et à plus de mille membres actuellement.

Les grognards de Plainpalais

Les Vieux-Grenadiers, ces colosses aux allures de grognards du Premier Empire, sont des enfants de Plainpalais. Quiconque parcourt la rue de Carouge en tram ou autrement pose son regard sur l’ancien café brasserie de l’Arrêt de la Cluse, devenu en 1930 la maison des Vieux-Grenadiers. La bière de Saint-Jean, brune ou blonde, y coulait à flots avant son achat par la vénérable confrérie, et même après, à n’en pas douter.

Ils avaient quitté leur repaire du chemin du Four, devenu la rue des Vieux-Grenadiers, où ils étaient chez eux depuis 1893, après être passés des Eaux-Vives aux Rues-Basses, toujours en location. De 1893 à nos jours, les Vieux-Grenadiers n’ont plus quitté Plainpalais. Ils auraient pu perdre leur toit de la rue de Carouge à deux reprises. D’abord à l’aube des années 1970, quand un plan d’aménagement datant de 1948 menace de faire tomber leur maison. Grâce à une campagne de presse du journal «La Suisse», la Ville de Genève fait machine arrière. En 1983, c’est l’incendie du bâtiment qui fait trembler la société. «L’origine criminelle du sinistre est très probable mais, faute de preuves, personne ne sera inquiété», relate André Klopmann.

On trouvera en outre dans son livre «La société des Vieux-Grenadiers dans l’histoire genevoise» tout ce qu’il faut savoir sur les coutumes de ses membres, leur appartenance sociale et politique à travers les temps, et comment ils sont devenus des ambassadeurs de Genève dans bien des manifestations à l’étranger, en Argentine, au Canada, au Vatican, en Russie, aux Pays-Bas, en Chine et en France.

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