PROCèS TRUMP: LES EXTRéMISTES NE SONT PLUS LES SEULS à ENTRER EN GUERRE

Il a suffi d'un seul petit jour de procès pour que les partisans de Donald Trump appellent à saper l'audience ou à pervertir le futur jury. S'il émane du tribunal de Manhattan des relents d'insurrection, le plus grave est peut-être ailleurs: des républicains modérés évoquent eux aussi un «simulacre de procès» et une «attaque sans précédent». Ont-ils complètement tort? Bienvenue au Far West, là où la justice est sous pression et la guerre des nerfs ne fait que commencer.

Lundi, sur les 96 jurés potentiels, les deux tiers ont été recalés d'office. Selon le New York Times, présent dans la salle d'audience, la plupart ont prétexté ne pas être en mesure de se montrer «impartiaux». Le dernier tiers a eu droit au fameux questionnaire de 42 questions, déployé par la Cour suprême de New York afin de s'assurer qu'ils le seront. Au terme de la première journée de procès, aucun juré n'avait encore été sélectionné.

Une terrible équation pour la justice américaine: qui peut se dire parfaitement impartial face à Donald Trump? Qui n'a pas un avis bien arrêté sur sa vie et son œuvre? Qui se sentira suffisamment droit dans ses bottes pour juger un ancien président des Etats-Unis en son âme et conscience? Qui ne craquera pas sous la pression (ou les menaces), durant les deux mois d'un procès entre frasques et falsifications comptables, que Trump a déjà transformé en champ de bataille?

Pourriez-vous condamner Trump? Voici les 42 questions posées au jury

Certains de ses porte-voix les plus extrêmes l'ont déjà compris et ne s'embarrassent plus d'une quelconque discrétion pour infester le processus d'un shoot d'insurrection. A titre d'exemple, les agissements de l'agitateur politique Clay Travis, lundi sur la plateforme X, prouve que l'anonymat des futurs jurés n'empêchera pas le clan MAGA de s'immiscer dans l'esprit des douze New-Yorkais ordinaires qui composeront ce jury extraordinaire:

«Si vous êtes un partisan de Trump à New York et que vous faites partie du jury, faites tout ce que vous pouvez pour faire partie de ce jury, puis refusez de condamner par principe. Condamnant ainsi l'affaire par un jury sans majorité. C'est la chose la plus patriotique que vous pourriez faire»

- Clay Travis, commentateur d'extrême droite, sur X -

Autrement dit, ce Clay Travis appelle publiquement les jurés à truquer le système judiciaire, pour faire triompher le gourou, tout ça, par amour pour la patrie. C'est évidemment un crime, mais ce n'est pas très étonnant. Avec ce premier procès pénal, c'est une stratégie longuement mijotée par le candidat républicain qui passe de la théorie à la pratique. Après s'être échauffée au civil, l'armée de Trump se montre prête à mourir au combat.

Devant le tribunal de Manhattan, les campements MAGA ont été déployés 48 heures avant le début du procès. Bien qu'ils n'étaient qu'une grosse centaine, le 15 avril à l'aube, l'intimidation restera un levier majeur ces deux prochains mois.

Autre preuve qu'une importante étape a été franchie: la fiction, celle d'un milliardaire persécuté par une justice pilotée par les démocrates, prend du muscle. Juste avant de faire son entrée au tribunal, Donald Trump a publié une vidéo qui n'a rien à envier aux bandes-annonces hollywoodiennes. Musique épique, convoi de voitures noires en route pour Manhattan, extraits de discours couverts par les applaudissements.

«Ils veulent me priver de ma liberté, parce que je refuse qu'ils vous privent de la vôtre»

«Quand j'entrerai dans cette salle d'audience, je sais que j'aurai l'amour de 200 millions d'Américains derrière moi, et je vais me battre pour la LIBERTÉ de 325 millions d'AMÉRICAINS!»

Un documentaire à charge

Pour coller au calendrier, un «documentaire» baptisé «Chasing Trump» se charge de jouer le lièvre à la place d'un Donald prié de se taire et de s'asseoir calmement en salle d'audience. Ce «film» d'une trentaine de minutes, tourné, monté et financé par des militant pro-Trump, est censé «prouver» que les procureurs de New York, des «activistes politiques», sont «corrompus».

Et tous parlent aujourd'hui de «lawfare», autrement dit l’utilisation du système judiciaire pour faire tomber un ennemi politique. En France, Jean-Luc Mélenchon en avait fait bruyamment mention, lorsque le siège de La France insoumise avait été perquisitionné en 2018. Un terme également utilisé par Elon Musk, lundi, confirmant que le patron du réseau social le plus politisé de la planète a bel et bien choisi son camp.

Il y a peut-être plus grave: les extrémistes et les convaincus ne sont pas tout seuls à mouiller le maillot. Certains républicains plus modérés commencent à emprunter le vocabulaire du martyre autoproclamé.

Quitte à faire voler leur intégrité en éclats. A ce petit jeu, Chris Sununu, le gouverneur de New Hampshire, fait office de patient zéro. Lui qui traitait Trump de «connard» et considérait que la «rhétorique et les actions» du 45ᵉ président «ont contribué à l'insurrection au Capitole des Etats-Unis», va voter pour lui le 5 novembre prochain. Officiellement parce que «Joe Biden risque de détruire le pays», argumentait-il encore, sur ABC News dimanche, face à George Stephanopoulos.

La star du porno qui a conduit Trump au tribunal

Le bilan politique du président démocrate justifie-t-il à lui seul le soutien à un candidat autocrate qui est aujourd'hui accusé de plusieurs crimes? Bien sûr que non. Chris Sununu cherche d'abord à sauver sa peau, au sein d'un parti républicain qui a fait le pari, parfois implicite, mais toujours explosif, de suivre Donald Trump jusqu'à ce que la Maison-Blanche les unisse ou que la mort les sépare.

Un autre gouverneur et ancien candidat à la primaire républicaine semble très disposé à piétiner son intégrité. Doug Burgum, du Dakota du Nord, considère désormais que Donald Trump subit un «simulacre de procès», une «attaque sans précédent, en pleine année électorale». Autant de voix qui crédibilisent un verbiage que l'on croyait réservé aux trumpistes et qui fragilise un Grand Old Party qui pourrait ne pas se remettre d'un tel élan de soutien au milliardaire. Une allégeance hypocrite qui profite, pour l'heure, au candidat républicain.

Doug Burgum sur CNN, lundi.

Cette fois c'est sûr, ce procès de New York, qui pourrait durer deux longs mois, ne fait qu'un avec la campagne présidentielle de Donald Trump. La justice américaine se retrouve ainsi catapultée sur un champ de bataille instable (qui ne devrait pas être le sien) et où il faudra résister aux assauts antidémocratiques d'un mouvement qui n'a plus rien à perdre.

Pour ne rien arranger, l'acte d'accusation de New York est plutôt faiblard et Trump est accusé d'un délit considéré comme mineur. Sans oublier que c'est le seul procès pénal qui pourrait avoir lieu avant le 5 novembre. Beaucoup de bruit pour une issue en demi-teinte?

On le sait, Donald Trump brigue moins la Maison-Blanche pour «Make America Great Again» que pour se venger. Il est également conscient que cet épisode au pénal est susceptible de révéler des secrets peu reluisants de sa vie privée. Il va donc tout faire pour décrédibiliser une justice qui, elle, s'efforcera de garder fière allure. Derrière ce procès spectacle, c'est une longue guerre des nerfs qui vient de s'engager.

2024-04-16T14:52:25Z dg43tfdfdgfd