UNE FORêT QUI VAUT DE L'OR: ON A RENCONTRé LES ACTIVISTES CLIMATIQUES QUI OCCUPENT LE BOIS DE BALLENS

Samedi 14 juin, des activistes climatiques ont investi le Bois de Ballens (VD). Une forêt appelée à devenir la future plus grosse carrière du canton de Vaud. Dans le viseur des militants? Les deux géants du béton Holcim et Orllati. Blick les a rencontrés. Reportage.

Il a fallu les trouver «ces activistes suspendus à des arbres», comme on les appelle à Ballens (VD) – ceux-là mêmes qui ont investi le Bois du Sépey le samedi 14 juin pour dénoncer l’utilisation du site comme futur gisement de gravier. Au volant de notre voiture, on a sillonné les routes du pied du Jura, traversé la petite commune du district de Morges, de gauche à droite, de haut en bas, guetté l’orée des forêts et emprunté sans grande conviction quelques sentiers détrempés par la pluie... mais rien.

Jusqu’à ce qu’une conductrice, passant par là, nous renseigne. «On m’a dit qu’ils étaient dans les bois derrière le stand de tir. Vous savez comment je le sais?, nous interroge-t-elle, exaspérée. J’ai réservé le refuge de Ballens pour une grande fête que je prépare depuis plus d’un an. La commune vient de m’appeler pour me dire qu’il fallait que j’annule. L’accès à la cabane est bloqué par ces écolos», soupire-t-elle avant de reprendre sa route.

Une forêt qui vaut de l'or

Il est 10h, mardi matin. On roule vers le stand de tir et on aperçoit un sentier, barricadé par les autorités et redécoré par les activistes. Quelques minutes de marche dans les bois et voilà des promeneurs, en pleine conversation avec deux militants écologistes. On se présente, l’un deux nous invite à le suivre. Il se fera appeler Rémy*. Comme tous les occupants du Bois de Ballens, vous ne verrez ni son visage, ni ne connaîtrez son identité.

En marchant vers le campement, le jeune homme nous explique que sous nos pieds s’étend le plus vaste gisement de gravier du canton de Vaud: un réservoir de 18,5 millions de mètres cubes. Et dans cette région, le sable vaut de l’or. Une forêt estimée à un milliard de francs, selon une enquête du média en ligne Heidi.news. Alors forcément, cela attire les convoitises et aiguise les appétits des titans du béton, Holcim et Orllati. Et c’est le géant suisse, Holcim qui s’est vu accorder par le Canton, en 2019, la priorité de l’exploitation. Mais son concurrent vaudois, propriétaire de la parcelle voisine, n’a pas dit son dernier mot. Il a déposé un recours, toujours pendant.

Arrivés au campement, assaillis par les moustiques – «Il faut qu’on continue de se déplacer sinon on se fait dévorer», avertit Rémy –, on découvre des tentes de camping, un espace dédié à la cuisine, un autre à la lecture et un à la discussion. Un militant s’affaire au balisage du sentier, deux autres ramènent de l’eau qu’ils sont allés chercher à proximité du terrain de foot voisin. Certains se sont rendus dans les villages environnants pour distribuer des tracts et échanger avec les habitants de Ballens. Au total, pas plus d’une vingtaine de personnes sont présentes sur le camp en cette fin de matinée. Et certains, études oblige, sont partis passer des examens.

Dodo dans les arbres

On lève le nez. Des plateformes en bois et des hamacs sont installés dans les arbres. «C’est pour qu’on soit plus chiants à évacuer s’il y a eu une intervention des forces de l’ordre, explique Rémy. On se relaie afin d’avoir en permanence des personnes stationnées là-haut.» Il sourit: «C’est un bon moyen de résistance passive.» 

D’ailleurs, juste à côté, Camille* prépare ses cordages, mousquetons et enfile un baudrier. «Vous voulez que je vous montre comment on grimpe?, lance-t-elle. Je compte aller faire une sieste.» Dix minutes d’ascension et d’efforts plus tard, elle peut poser ses pieds sur la plateforme suspendue où flotte un drapeau palestinien. 

Dans les bois de Ballens, l’occupation, coordonnée par le groupuscule «Grondement des Terres» mais pas que — des membres de collectifs «alliés et amis» se sont joints au mouvement — vise à dénoncer les «velléités extractivistes et écocidaires» des grands cimentiers sur ce site. Mais aussi, à sensibiliser la population à ces enjeux avec, pour objectif, de reproduire ce qui s’est joué à Vufflens-la-Ville en 2023. Souvenez-vous: après un mois d’occupation, d’échanges avec les habitants de la commune, ces derniers avaient fini par prendre le relais pour faire pression sur les autorités communales. Et le projet de gravière d’être finalement abandonné par l’Exécutif et la Municipalité.

De lutte directe à la lutte en amont

Au Sépey, on prend les mêmes et on recommence. Finies les actions trop musclées et la lutte directe comme à la ZAD du Mormont. «L’idée est d’arriver avant que les projets soient signés», explique Ludwig*, étudiant âgé de 22 ans, en nous faisant faire le tour du propriétaire. Il repousse de la main une nuée de moustiques et commente: «Cette gravière doit être validée par l’Etat de Vaud l’an prochain dans le cadre du Plan directeur des carrières, réactualisé tous les dix ans.» C'est ce qui a poussé ce défenseur d’une «écologie pragmatique» à investir le site du district de Morges «bien avant que les machines n'arrivent, car une fois sur le site, notre marge de manœuvre se réduit. J'essaie d'être là où je peux être utile. L'écologie est une des préoccupations principales de ma génération.»

Il explique sa démarche: «On fait de la prévention auprès des citoyens, une vraie lutte d’amont. Certains ne sont même pas au courant de ce projet de gravière, alors qu’on parle d’un gisement six fois plus grand que celui du Mormont.» Il poursuit son discours bien rôdé: «On sensibilise, on passe le relais aux habitants pour ensuite plier bagage. Parce que, bon, la forêt, c’est chouette, mais il y a quand même beaucoup de moustiques.» On confirme.

Une lutte pas vraiment au goût de la Municipalité

La Municipalité aussi aimerait les voir plier bagage. Elle a déposé plainte dimanche dernier. Au téléphone, le syndic Christian Croisier confirme son ras-le-bol. Il a toutefois autorisé les occupants à organiser une nouvelle assemblée populaire et des rassemblements ce week-end à une condition: que le collectif s’engage à quitter le territoire communal, en particulier la forêt du Sépey, au plus tard le mardi 25 juin à 18h.

«On sait qu’une plainte a été déposée, relève Ludwig. C’est le jeu. Mais on tente de garder les canaux de communication ouverts. D’aller vers les gens, de les accueillir ici, qu’ils se sentent les bienvenus. Ce matin, une habitante est passée prendre le café. On a aussi une quantité de nourriture, j’ai l’impression que notre message est entendu.»

Croisés au village, ces habitants soutiennent l'occupation

Une habitante, rencontrée à la petite gare de Ballens qui préfère rester anonyme, approuve l’action des occupants. Face à nous, la forêt qu’elle contemple d’un regard inquiet. «Ils comptent raser près de 90 hectares, ça me fait mal au cœur. Heureusement qu’on a des jeunes qui se mobilisent pour sauver cette biodiversité. Qu'est-ce qu'on ferait sans eux?» Et d'ajouter: «On leur fait un mauvais procès, ce sont des gens raisonnables, sincèrement préoccupés pour l’avenir de la planète.» 

Lors de notre visite sur le camp, la Municipalité n’avait pas encore donné de délai à des occupants qui ne semblaient pas pressés de quitter les lieux. Contacté à ce sujet, le service presse du Département de la jeunesse, de l’environnement et de la sécurité (DJES) nous fait savoir que «si un ordre d’évacuation préfectoral est prononcé, et que les militants ne quittent pas dans le délai imparti, la police cantonale devra alors procéder à l’évacuation ainsi que l’exige le droit.»

On sort du bois. On croise un promeneur avec ses deux chiens. «Vous êtes allée voir les écolos?» On opine du chef. On lui demande ce qu’il en pense. «Je les soutiens sur le fond, moins sur la forme, disons.» Il regarde les bois et soupire: «Franchement, saccager toute cette forêt pour des entreprises qui vont s’en mettre plein les fouilles, ça laisse songeur… Mais c’est le monde dans lequel on vit» dit-il, résigné, avant de s’engouffrer dans cette forêt appelée à disparaître.

*Prénoms d'emprunt

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