À TABLE AVEC AKRAME BENALLAL, LE CHEF DU VILLAGE DES ATHLèTES DES JEUX OLYMPIQUES DE PARIS 2024

Nourrir, pendant Paris 2024, des milliers de personnes : cela pourraît être, assez naturellement, la vocation d’un grand chef. Mais les nourrir 24h sur 24, pour une durée limitée à quelques semaines, dans un espace ultra sécurisé et fermé au public, voilà un autre challenge. C’est celui qu’a relevé Akram Benallal, 42 ans, le cuisinier singulier ayant embrassé aussi bien la grande gastronomie française que celle de la route de la soie (on y reviendra) et qui s’apprête, cet été, à piloter (aux côtés d’Amandine Chaignot et d’Alexandre Mazzia), les cuisines du village olympique et paralympique. Pour en savoir plus, le rendez-vous est donné dans son restaurant de la rue Tronchet, dans le quartier de la Madeleine, à Paris : un antre arty ouvert sur la cour de l’hôtel de Pourtalès, ponctué d’œuvres contemporaines pouvant même inspirer un dessert, où œuvre une équipe venue du monde entier, habillée, entre autres, par des t-shirts à imprimé légumes. Cheveux noirs, lunettes Tom Ford fumées, montre qui brille qui sous la manche d’un top Issey Miyake, le chef est lui aussi derrière le comptoir : exception à la règle de ce déjeuner Vanity Fair, il a proposé de se retrouver chez lui, devant filer à 15 h à Reims pour un dîner à quatre mains dans un cinq étoiles champenois.

Le menu ? C’est lui qui choisit. La formule du midi affiche un 85€ on ne peut plus raisonnable pour une table de cet acabit, qui se permet, c’est un luxe aujourd’hui, de fermer le week-end. En ce jour de printemps gris, la terrasse n’est pas ouverte, mais les fidèles sont au rendez-vous : « Vous voyez, ces deux-là? Ils ont du venir une vingtaine de fois. Et n’ont jamais mangé la même chose », signale le chef en indiquant discrètement deux copains attablés au comptoir, qui ne manqueront pas de le saluer en partant. La philosophie d’Akrame ? « Il faut saisir sa chance. Et rassurez-vous : je la conçois comme un train qui passe plusieurs fois par jour. Il s’agit juste de ne pas rester à quai », explique celui qui a commencé, adolescent, par un CAP entamé après une enfance en Algérie, à l’époque où la cuisine n’avait rien du cool d’aujourd’hui. Concernant les Jeux Olympiques, la chance pointe le bout de son nez il y a cinq ans, au moment d’un premier appel d'offres qu’il finira par remporter avec ses deux acolytes, sous la houlette du groupe Sodexo, le numéro un mondial de la restauration collective. Alors que débarque, dans une mise en scène florale et millimétrée, les radis roses… à la rose, et une soupe de champignons travaillée je avec des restes de pain servie comme un expresso, le chef revient sur le défi « de travailler pour vingt mille personnes, venues du monde entier, avec des cultures, des religions, des habitudes différentes, en jonglant avec des contraintes draconiennes, sanitaires comme l’absence de cru, techniques, comme l’absence de friteuse… »

« Je suis partisan du “no risk, no story” »

Akrame Benallal

Pas de beignets pour les sportifs ? Ils auront droit, pour l’essentiel, « à du végétal. C’est une cuisine plus lisible, mais tout aussi complexe, que je travaille de plus en plus dans mes restaurants », souligne ce boss, un peu daron qu’on rêve en meilleur ami, également à l’œuvre au Mandarin Oriental de Marrakech et à Doha, au Qatar. Mais encore une fois, la surprise est là. La cuisine d’Akrame Bennallal est, bien sûr, une histoire, un voyage, mais jamais celui auquel on s’attend. À l’heure de la déferlante levantine, il pourrait jouer la carte méditerranéenne, se flatter de réinventer les influences de la cuisine de sa mère et des saveurs oranaises qui l’ont vu grandir et découvrir le métier.

Muesli olympique et riz à l'ouzbek

Pourtant, il n’y aura pas de couscous végétarien au village olympique, mais, entre autres, « un muesli de quinoa rouge et blanc croustillant, travaillé avec du mascarpone, du parmesan, des herbes fraîches, inspiré par un plat de la carte du gastronomique… » Un détour comme il les aime. Quand il a ouvert à l’étranger, Akrame Benallal n’a pas misé sur les destinations phares du début des années 2000, préférant aux mirages de New York et de Tokyo les scènes naissantes, et complètement méconnues, de Manille et de Bakou. Tel un Marco Polo de la food, il rapporte techniques, saveurs, horizons imaginaires aujourd’hui incarnés dans Shirvan, son adresse de la place de l’Alma, où le riz à l’iranienne ou à l’ouzbek, l’agneau à la grenade, le poulpe chermoula sont proposés dans une ambiance élégante, parfait contrepied de ce qui aurait pu être un décor Gengis Khan spécial réseaux sociaux.

Retour rue Tronchet. Le homard de Bretagne, cuit devant le client au binchotan (« même le charbon vient du Japon : c’est un bois qui ne se défait pas »), libère de dansantes volutes de fumée blanche, à côté d’un croustillant de sarrasin à la farce marine. L’asperge fondante aux trois saveurs (le secret : la cuisson, non épluchée, au four) signale, malgré la pluie et le ciel gris, que le printemps est là.

Akrame Benallal est-il un grand sportif ? « J’ai fait un peu de boxe. J’adore Teddy Riner. Mais les Jeux Olympiques, je les ai surtout suivis à la télé : je regardais aussi bien la gymnastique que le patinage artistique. Et j’adore le sport automobile ! » poursuit-il au-dessus d’une huitre passée à l’azote liquide et à la poudre de noisettes, une claque gustative aussi glacée que iodée à laquelle les athlètes n’auront pas droit. Ce qu’il apprécie avant tout chez eux, c’est le mental. « Je suis partisan du “no risk, no story”. Ce que j’aime chez Teddy Riner, chez Laure Manaudou, chez Mohamed Ali brandissant sa médaille à Rome en 1960, c’est la technique, mais surtout le mental. C’est la capacité permanente à se dépasser, comme chez les marathoniens, à aller plus loin, à faire sauter les limites. À ce titre, les athlètes paralympiques me fascinent absolument ! » insiste-t-il en se réjouissant des rencontres à venir. Car Akrame Benallal, chef reconnu, macaronné Michelin, est d’abord un gars de bande. Celle du restaurant, où son rôle, dit-il, n’est pas que de créer – il réfléchit en ce moment à une cuisson en croute de marc de café, dans une vision circulaire de ses approvisionnements et gestion des déchets - « mais aussi d’encourager, de fédérer, de laisser de la latitude. J’ai un peu cette idée qu’il faut être un bon père de famille ». Dans le privé, il n’aime rien tant qu’inviter ses amis à la maison, passant là aussi derrière les fourneaux, claquant, jure-t-il, « deux trois plats en une heure ». Et ne dit pas non à un bon pot-au-feu, plat “de restes” emblématique de l’hexagone qu’il a adoré dans le film La Passion de Dodin Bouffant, prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2023. Et rêve, depuis, de casser la croûte avec Benoît Magimel, avis à l’intéressé. Mais d’ici là, l’heure est venue de filer vers la Gare de l’Est, pour ce dîner d’exception au Royal Champagne co-orchestré avec Paolo Boscaro. Sinon, pour rejoindre cet été le village olympique, Akrame Benallal vient de s’acheter un vélo.

A la découverte du muesli des athlètes

Ce muesli de quinoa régalera les vainqueurs, et pas que. Serait-ce le plat vedette de Paris 2024? Pour les résidents du village olympique, Akrame Benallal signe ce muesli de quinoa croustillant associant quinoa rouge et blanc, échalotes, mascarpone et parmesan. Un plat à la fois nutritif et équilibré, inspiré entre autres par la dimension végétale de la carte de son restaurant Shirvan, qui voisinera avec la volaille aux écrevisses d’Amandine Chaignot, ou encore la pommade de pois chiche et le gaspacho de pastèque d’Alexandre Mazzia.

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