CE GESTE FAIT JASER: «ON A ROBOTISé LES COUREURS CYCLISTES»

Ancien pro, Mario Cipollini s'est étranglé en voyant deux coureurs éteindre leur capteur de puissance sitôt la ligne franchie, plutôt que de célébrer leur performance. Un comportement que fustige également Marc Madiot, le manager général de la Groupama-FDJ

Le Tour de Romandie se dispute toute la semaine et si vous observez attentivement les cyclistes franchissant ligne, vous les verrez faire un geste devenu automatique: tous portent la main à leur guidon pour éteindre leur compteur GPS, un capteur de puissance qui collecte les précieuses données du coureur (vitesse, durée, watts, fréquence cardiaque, etc.). Celles-ci s'affichent en direct sur l'écran, permettant ainsi au coureur de calibrer ses efforts durant la course. Elles sont ensuite enregistrées puis analysées, disséquées, de sorte à établir pour chaque athlète un programme d'entraînement sur mesure.

Si les coureurs professionnels ont pris l'habitude d'éteindre leur appareil sitôt la ligne franchie, c'est pour que leurs données soient le plus précises possibles. Cela peut se comprendre, mais certains y voient autre chose et ne manquent pas d'ironiser sur la quête obsessionnelle des stars du peloton, sensibles au moindre coup de pédale qui pourrait affecter leurs résultats.

Ce n'est pas tout: le mois dernier, Mario Cipollini a soulevé une autre problématique posée par l'utilisation de ces petits ordinateurs de bord. L'ex-cador du cyclisme n'a pas du tout apprécié de voir Pedersen et Van der Poel éteindre leur GPS sitôt après leur magnifique bataille sur Gand-Wevelgem.

Sous la photo, qu'il a partagée sur les réseaux sociaux, Cipollini (57 ans) s'est fendu d'un long message, un cri du coeur sur ce qui s'apparente selon lui à une dérive du cyclisme moderne. C'est bien simple: «Cipo» ne reconnaît plus son sport.

«Je suis toujours étonné par ce geste qui consiste à verrouiller immédiatement le "cyclocomputer" après la ligne d'arrivée pour obtenir les données réelles, a-t-il commencé. Cela me surprend si profondément que je ne comprends pas la façon dont la génération actuelle de coureurs vit le cyclisme. Je me demande s'il est plus important pour eux d'étudier les données (après la course) que de ressentir l'émotion, l'excitation de la victoire ou la déception de la défaite.»

L'ancien sprinter aux 42 victoires d'étapes sur le Giro va plus loin et interroge:

«Comment se fait-il que les chiffres prennent le pas sur le cœur, sur la vie, sur l'âme d'un cycliste? Des heures, des jours, des années (toute une vie) de sacrifices pour se construire intérieurement en tant que "coureur", avec des désirs et des rêves, et à un moment aussi important, la pensée d'arrêter un ordinateur... Cela me surprend toujours!!!!»

De cette observation, Mario Cipollini en tire une conclusion: «Les temps ont vraiment changé. Je suis heureux d'avoir vécu à une autre époque.» Celle où la joie d'un succès pouvait s'exprimer sans contrainte, ni devoir. Librement. «Quand je repense à mon état d'esprit lors de mes victoires, surtout sur Gand-Wevelgem, je me rends compte que je ne réalisais rien de ce qu'il se passait autour de moi, sauf quelques instants, quelques minutes même, après la ligne d'arrivée franchie.»

C'est un privilège disparu auquel a aussi goûté Marc Madiot lorsqu'il était coureur cycliste. Devenu manager général de la Groupama-FDJ, il fustigeait récemment dans L'Equipe le comportement du peloton à l'arrivée. «Quand les mecs passent la ligne, le premier boulot qu'ils font, même vainqueur, c'est qu'ils appuient sur le bouton. Le coureur est devenu un producteur de watts. On l'a robotisé, tous sans s'en rendre compte, chez moi y compris.»

Sa solution: déplacer le capteur de puissance. «On le cache. Sous la selle, que le mec n'y ait pas accès.» Un changement qui inciterait les cyclistes à garder les yeux sur la route plutôt que des les avoir rivés sur le cadran, et qui leur permettraient de s'abandonner à leurs émotions une fois la ligne d'arrivée franchie.

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